
Interview / Marie-Laurence Peramo-Simon – Maison Simon Rennes : l’achat, levier stratégique de toute réussite
La démarche d’achat repose sur l’observation attentive du marché et l’accord constant de la sélection avec et en fonction des tendances, des envies de la clientèle et de la stratégie de différenciation du magasin. Il ne s’agit pas simplement d’accumuler des références, mais de créer un assortiment cohérent, capable de raconter une histoire et de susciter l’achat. Pour Marie-Laurence Peramo-Simon, dirigeante de la maison Simon à Rennes, la gestion des achats est la fonction primordiale d’un magasin : la manière dont les produits sont sélectionnés (qualité, marques) fait toute la différence.

Comment vendre les marques premium en art de la table ?
Marie-Laurence Peramo-Simon – Certaines marques premium sont là depuis toujours, parce qu’elles font intrinsèquement partie de notre histoire. Ce sont des relations existantes dans la durée, sur une logique de confiance et d’exigence partagée. Ce que nous vivons aujourd’hui, je ne saurais même pas comment le décrire autrement qu’une amitié. Les grandes marques qui nous entourent depuis des décennies sont bien plus qu’un simple fournisseur, ce sont des amis de la maison Simon. Nous entretenons une relation d’exigence et de fidélité. Leur exigence nous porte vers le haut, leur fidélité nous pousse à rester présents dans la durée. Ces marques historiques, parfois plus que centenaires, sont des incontournables. Mais l’enjeu est aussi d’intégrer des nouveautés. Aujourd’hui, un magasin doit combiner héritage et modernité. La rareté des nouveautés est telle que lorsqu’un fournisseur nous fait confiance pour présenter ses dernières collections, il nous donne une chance extraordinaire de nous démarquer. Les jeunes marques, elles, arrivent avec des produits différents, frigos, ne répondant pas aux mêmes attentes et qui nous permettent d’aller vers une clientèle nouvelle. On accompagne ces nouveautés – deux fois par an – lors de rendez-vous saisonniers. Si une marque n’est pas valorisée, elle n’y trouve plus sa place. Tout repose alors sur la stratégie de chaque maison. Lorsqu’elle choisit de collaborer avec nous, c’est dans le cadre d’un contrat de distribution fondé sur un positionnement clair. Ce qui fait notre force, c’est l’art de la table. C’est à lui que se rattache notre légitimité. Notre image repose sur une sélection exigeante, pensée avec expertise. Ce sont les achats, intelligents, qui font toute la différence. C’est notre cœur de métier : chercher – et plus que jamais, c’est ce mot-là, « chercher » – de nouvelles propositions.
Concrètement comment procédez-vous pour les achats ?
M.-L. P.-S – Chez Maison Simon, la sélection et le fait d’avoir une veille active et une curiosité constante, une quête permanente, collective et permanente. Nous sommes exigeants sur tout : la qualité des produits, la sélection, la cohérence, l’exigence. Il est indispensable de rester à l’écoute, de suivre les nouveautés, de rester connectés au marché. Les réseaux sociaux, les réseaux professionnels, les salons professionnels – Maison&Objet, bien sûr, mais aussi les foires internationales, les ressources sociales, les outils numériques – sont devenus essentiels. Ce sont des clés qui nous permettent de devancer le marché. Ces déplacements sont essentiels : ils nous permettent de rencontrer les fournisseurs, de découvrir leurs nouvelles collections, de mieux comprendre leur démarche. Les fabricants font l’effort d’exposer ; il nous semble naturel, par respect et par professionnalisme, d’aller à leur rencontre. Cela nourrit aussi notre discours auprès des clients. Nous observons également beaucoup ce qui se fait ailleurs. Le benchmark est un réflexe : arpenter les autres boutiques, repérer les mises en scène, les sélections, les nouveautés. Même si les représentants de marques se font de plus en plus rares en magasin, nous leur faisons confiance pour nous proposer des produits pertinents. Mais au fond, ce métier exige une curiosité de tous les instants. Il faut sans cesse chercher, être à l’affût, tenter d’être le premier à proposer le produit que l’on n’a encore vu nulle part.
Pour cela, il est crucial de s’entourer de fournisseurs créatifs, réactifs, capables d’apporter du neuf, et surtout en phase avec l’air du temps. Je pense à Bernardaud, par exemple, qui présente chaque année de nouvelles propositions – plus ou moins adaptées à notre ligne, mais toujours stimulantes. Ou encore au « Mood » de Christofle, un produit exceptionnel qui a su évoluer avec des déclinaisons. Ce type de dynamiques est essentiel pour maintenir une offre vivante. Nous apprécions aussi les maisons françaises comme Revol : c’est une marque made in France que nous suivons avec intérêt, portée par une équipe formidable avec qui nous avons envie de collaborer davantage.
Le savoir-faire français reste une valeur forte pour nos clients, et nous mettons un point d’honneur à mettre en avant ces marques : Bernardaud, Raynaud, St-Louis, Baccarat… autant de noms qui portent une fierté. Nous essayons aussi de faire grandir d’autres marques comme Non Sans Raison – plus confidentielle, mais dont la qualité et la créativité méritent une place. Chez Maison Simon, nous ne vendons pas un produit, nous vendons une histoire, le nom de la marque est une étiquette pour donner de l’élan dans son achat. Ce qu’un client prime, c’est la justesse de l’objet, son adéquation avec les attentes de son usage.
Nos meilleures collections sont d’abord une dynamique de sens (ce que j’appelle les produits « presse »). Ils font parler d’eux, attirent l’attention, les attirent en magasin. Mais ils suscitent aussi de la curiosité et une envie d’acheter. Les produits plus abordables les amènent, les plus emblématiques orientent le client vers d’autres pièces, plus accessibles, mais tout aussi belles.

Comment parvenez-vous à reconnecter les jeunes à l’art de la table premium et à ses valeurs ?
M.-L. P.-S – Chez nous, les listes de mariage font leur retour. Timidement, certes, mais différemment. Nous recommandons souvent aux jeunes couples de réinscrire l’art de la table dans leur quotidien. Ce n’est plus un rituel, mais une raison de se réapproprier ce savoir-vivre. Le vrai défi aujourd’hui, c’est de redonner aux jeunes générations le goût de recevoir.
Cette raréfaction des points de vente nuit à la visibilité des produits, et donc à la persistance de réflexes comme celui de la liste de mariage. Les clients ne pensent plus à ces services parce qu’ils ne voient plus les produits. Et pourtant, lorsqu’ils entrent dans notre boutique et découvrent nos tables mises en scène avec soin, ils s’émerveillent. Ils redécouvrent le plaisir de l’art de la table, l’envie de se constituer une belle vaisselle ou de renouveler celle qu’ils ont. L’émotion redevient le moteur de l’achat. Il y a, très clairement, un déficit de réseaux de distribution. Et cela se vérifie jusque dans les grandes villes : à Paris, beaucoup de boutiques de marques s’adressent avant tout à une clientèle d’export. Elles sont belles, certes, mais pas pensées pour l’accompagnement local, pour l’expérience quotidienne, pour cette proximité qui donne envie de s’engager dans des choix durables.
Comment maintenir le lien avec les clients dans un centre-ville en mutation ?
M.-L. P.-S – Aujourd’hui, il est vital de créer du lien en amont, susciter l’intérêt, donner envie. C’est pourquoi j’ai une personne dédiée à la communication dans notre compte Instagram, et à la gestion notre site internet, site marchand mais aussi, véritable vitrine du magasin. Ces outils sont devenus essentiels.
Sur dix personnes qui passent en boutique, cinq ou six ont d’abord consulté notre site ou nos réseaux sociaux. Les habitudes de consommation ont changé, tout comme les déplacements en centre-ville, devenus plus complexes. Nous sommes situés en hypercentre dans une zone agréable mais peu fréquentée. Résultat : si les clients ne savent pas à l’avance ce qu’ils vont trouver, ils ne se déplacent tout simplement pas. Et les choses vont encore évoluer : le parking de 150 places au-dessus de la Vilaine va être supprimé, et la future ligne de tram-bus n’entrera en service que dans quatre ans. Il nous faudra alors inventer de nouvelles façons d’attirer les gens, de leur proposer d’autres repères, d’autres habitudes de visite. C’est un effort collectif, mais aussi une nouvelle pédagogie à mettre en place.
Notre clientèle vient souvent de l’extérieur, et beaucoup craignent de ne plus pouvoir se garer. Il va falloir les rassurer, communiquer, réexpliquer que le commerce de détail reste une expérience unique et incontournable. Et au cœur de cette dynamique, il y a un enjeu important : réussir à capter l’attention des jeunes générations. Ces derniers ont souvent une image figée, voire intimidante, des magasins comme le nôtre. Ils imaginent des lieux très traditionnels, alors qu’ils ne connaissent pas réellement notre univers. C’est là que nous avons un vrai travail à faire : apprivoiser cette jeune clientèle, leur montrer qu’ils peuvent entrer simplement pour un conseil, sans pression d’achat. Chez nous, on ne force pas la vente.
Si je n’ai pas le bon produit pour eux, je préfère qu’ils repartent sans rien plutôt que de leur proposer quelque chose d’inadapté. Il faut leur réapprendre à se laisser guider. Et pour cela, la communication digitale est clé : plus de contenus sur les réseaux sociaux, plus de visibilité, plus d’échanges. Ce sont des sujets largement abordés lors du Colloque des Arts de la Table, auquel je suis fidèle depuis ses débuts. Ces rencontres sont précieuses : nous n’avons pas toujours accès, en boutique, à des intervenants capables de nous faire réfléchir, d’interroger nos pratiques et de nous faire avancer.
Je pense notamment à l’intervention de Constance Caltot, l’an dernier, sur la relation client. Elle m’a inspirée à passer davantage de temps à écouter mes clients, à parler et tout, et surtout… d’elles ! Ce sont ces moments qui créent du lien. Par exemple, cet été, pendant les fortes chaleurs, nous avions installé une petite table avec de l’eau fraîche et des fruits à disposition. Cela a facilité le contact, offert une pause bienvenue, et surtout, créé un souvenir. Une attention simple, mais marquante. Chez Maison Simon, dix sur dix clients qui franchissent la porte, cinq ou six sont des habitués que l’on appelle par leur nom. Deux ou trois de plus sont des visages familiers, que nous sommes heureux de revoir. Et puis il y a les clients de passage, de plus en plus nombreux avec le développement touristique de Rennes. Peut-être qu’ils n’achèteront rien ce jour-là. Ce n’est pas grave. L’important est de leur parler, de partager une information, de laisser une trace. Ils reviendront peut-être un jour, en se souvenant de ce qu’ils ont vu chez nous. C’est un travail patient, de fond. Mais c’est aussi ce qui fait la richesse de notre métier : les échanges, les discussions, les rencontres. Et cela ne fonctionne que si le personnel est heureux et vient chaque matin. Car ce lien humain, cette chaleur, cette attention sincère – c’est cela qui fait revenir les clients.
Source : Magazine Home Fashion News – Septembre 2025 (HFN58)