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Entretien exclusif avec Pierre-François Le Louët, président de l’agence NellyRodi

Entretien exclusif avec Pierre-François Le Louët, président de l’agence NellyRodi

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À la tête de l’agence NellyRodi, Pierre-François Le Louët propose une excellente analyse de la situation actuelle. Nous offrant quelques pistes de lecture pour comprendre les enjeux du moment, il nous explique comment il a fait évoluer le bureau de style fondé par sa mère, en une agence de conseil en stratégie qui aide les industries créatives à se régénérer et à se propulser dans l’avenir. Un ensemble d’entreprises et de clients qui, accompagnés des experts de NellyRodi se voient projetés dans un nouveau monde d’opportunités et sur la voie de la sérénité.

Quels sont les nouveaux engagements de NellyRodi en tant que société certifiée « B Corp » ? Pierre-François Le Louët – En accord avec les actionnaires familiaux de notre entreprise et l’aval de notre conseil consultatif de surveillance, nous avons inscrit notre raison d’être dans nos statuts : « Imaginer et façonner ensemble l’avenir des industries créatives ». Ensemble, c’est avec notre équipe, nos clients, nos partenaires et toute notre communauté de leaders d’opinions créatifs, business ou institutionnels, qui soutiennent avec enthousiasme nos activités. La certification « B Corp » impose une démarche d’amélioration continue. Notre mission se décline en trois axes d’engagements, également inscrits dans nos statuts : encourager l’innovation et le développement durable chez nos clients, faire grandir nos équipes et développer leur culture du développement durable, promouvoir une vision vertueuse des industries créatives et favoriser l’émergence de nouveaux talents.

Comment cela se traduit-il dans votre activité ? P-F.L.L. – Nous avons commencé par mettre notre entreprise en accord avec tous les engagements que nous avions pris, ce qui s’est traduit par le changement de certaines pratiques, la mise en place de nouveaux outils de travail et plus généralement le recentrage de la culture d’entreprise sur des valeurs liées au développement durable. L’implication sincère et profonde de toutes nos équipes a vocation ensuite à rayonner chez nos clients. Des clients qui, pour travailler avec nous, doivent eux-mêmes avoir entamé une démarche RSE en étant convaincus de son bien-fondé. Nous avons même dressé une liste noire qui nous interdit de travailler avec certaines entreprises, comme celles de l’ultra fast fashion et déco, qui voudraient pourtant bien « acheter »l’expertise unique que nous avons développée dans les secteurs de la mode et de la décoration. Nous avons intégré le filtre RSE à tous les niveaux de notre activité, ce qui a pour conséquence de rendre le sujet incontournable quel que soit le sujet traité. Cela implique un très bon niveau de formation de nos équipes, ce dont s’assure Vincent Grégoire, directeur Consumer Trends & Insights, chargé de coordonner la politique RSE de l’entreprise. Ainsi sommes-nous aguerris à réaliser des audits de marques préalables puis à accompagner nos clients, de l’écriture d’une stratégie à sa mise en œuvre. Cela nous fait intervenir sur des sujets extrêmement différents (éco-conception, recycling, upcycling, surcycling, énergies vertes, packagings durables, consommation et communication responsable…) avec la promesse que le beau, la désirabilité voire le glamour seront au rendez-vous.

Comment se présente votre activité ? Comment a-t-elle évolué ces dernières années ? P-F.L.L. – Nous sommes un cabinet de conseil spécialisé dans les industries créatives avec comme raison d’être de les aider à imaginer leur avenir. C’est une nouvelle dimension donnée à l’entreprise depuis une dizaine d’année, qui a intégré le cabinet de tendances des débuts et donc, la culture « forme-couleur-matière » que nous avons forgée depuis presque 40 ans. Mais l’expertise qui sert de moteur aujourd’hui à NellyRodi, est sa compréhension de la singularité de chaque marque, qui lui permet de construire une stratégie de marque, une stratégie créative et même une offre qui permettront d’amplifier sa pertinence, sa performance et sa désirabilité. Avec cette approche globale, qui nous permet de proposer une large palette de services, nous faisons la différence tant en France qu’à l’International (NellyRodi à des bureaux à Paris, New York et Tokyo et réalise la moitié de son activité à l’étranger ; elle compte une cinquantaine de collaborateurs dans le monde dont 33 à Paris, ndlr). Notre métier est d’analyser des mega trends, des tendances sociétales, des tendances de consommation par secteur et enfin des tendances esthétiques, … et de restituer à une marque comment tout cela s’imbrique en faisant ressortir les opportunités pour elle. Avec une jambe dans la stratégie et l’autre dans le créatif, nous leur apportons une compréhension, une vision et des solutions qui les amèneront à faire des choses inédites et à réussir par la différentiation.

Qui sont vos interlocuteurs au sein des entreprises ? P-F.L.L. – L’évolution de notre activité nous amène à travailler directement avec les directions de la création et de l’offre, mais aussi désormais les directions de l’innovation, du marketing et de la communication. Dès lors qu’on intervient dans la vision de l’entreprise les discussions se font avec les directions générales, que nous accompagnons dans la durée en veillant à ce que l’équilibre de la cohésion des équipes soit préservé.

Que représente l’IA pour NellyRodi ? P-F.L.L. – L’IA est avant tout un super allié. Il nous permet de créer des nouvelles images et de clarifier des propositions de choix esthétique qui peuvent être directement incrémentées dans nos recommandations. Ensuite l’IA est un super calculateur qui nous permet de récupérer extrêmement rapidement une immense quantité de données sur le présent et le passé. C’est ce qui nous permet d’avoir une matière plus riche afin de rendre nos travaux prédictifs encore plus précis. Ce travail de prospective demande une expertise qui ne peut pas être automatisée d’autant plus qu’elle demande à prendre en considération des données et des hypothèses qui ne sont enregistrées nulle part. L’IA ne pouvant travailler qu’à partir de données existantes, elle ne peut au mieux que faire des projections à très court terme. Dans quelques semaines nous serons en mesure de présenter le premier outil intégrant une IA mise au point par l’Agence NellyRodi en partenariat avec l’École des Mines. Il nous permettra de déterminer s’il y a des cycles de  couleur et de réfléchir comment exploiter cette information pour la mettre au service de nos clients. Tout l’intérêt est d’acquérir des outils qui nous rendent encore plus fiable dans la prédiction, ce qui sécurise nos clients qui doivent prendre des décisions stratégiques en se projetant sur 5 à 10 ans, ce qui est loin d’être évident dans un monde aussi instable que le nôtre.

Où sont vos plus grosses craintes au regard de la situation actuelle ? P-F.L.L. – Je suis assez inquiet de voir ce qu’il se passe dans le secteur de la maison qui, s’inspirant directement du secteur de la mode, reproduit ses erreurs à deux-trois ans d’intervalle ! Il est dommage de copier un modèle sans prendre le temps d’en analyser les failles pour les corriger. Si aucun virage n’est pris, je crains que les marques de l’univers maison ne vivent ce qu’ont vécu les marques du secteur de l’habillement qui ont vu disparaitre le commerce indépendant qui supportait toute une partie de l’offre, notamment l’offre milieu de gamme et premium. Aujourd’hui ces marques dépendent d’une distribution qui se cherche et n’a pas trouvé son nouveau modèle économique. Il est grand temps que la distribution se réinvente pour sortir du ventre mou. (Nommé président de l’Union des Industries de la Mode et de l’Habillement en 2024, Pierre-François Le Louët mène un travail de fond pour aider la filière à se réinventer et à se donner des perspectives d’avenir, ndlr).

Les deux univers de la mode et de la maison sont-ils à ce point comparables ? P-F.L.L. – Leur approche découle des mêmes in-sights consommateurs et d’une même analyse sociétale car leurs clients sont finalement les mêmes. Des spécificités apparaissent dès lors qu’on passe au niveau du marché et des produits. Mais la question reste la même pour tous : comment capter le client ? Comment renforcer sa relation avec lui ? C’est précisément les questions que nous travaillons pour nos clients, en veillant à leur apporter des réponses très personnalisées qui font émerger des idées originales qui servent de base à la création d’une nouvelle offre.

Mais quelle est la solution… ? P-F.L.L. – Il faut de la vision et du courage. Avec l’éclosion d’acteurs comme Dior Maison et Sarah Lavoine d’un côté, et la percée du hard discount, la transformation de la distribution est violente. Je suis extrêmement admiratif des patrons d’aujourd’hui dont le job est autrement plus difficile qu’il ne l’était dans les années 1990. Il faut être sacrément bon pour diriger actuellement une entreprise dans les secteurs de la mode et de la maison. Pour mettre l’entreprise sur les rails du succès, beaucoup doivent repenser leur modèle économique, transformer leur offre, poser les sujets RH, intégrer la formation RSE et les nouvelles pratiques qui en découlent, poursuivre la transformation numérique, réagir aux crises de toute nature qui viennent entraver l’économie française et soumettent leurs business à rude épreuve. Ceux qui ont des actionnaires prêts à les suivre dans la transition ont un atout. À notre niveau, nous proposons aux entreprises de reprendre confiance en elles en identifiant avec elles leurs forces et leur singularité puis de les accompagner dans le processus du changement. Nous accompagnons également les marques à trouver leur place dans une monde multipolaire en prenant conscience de l’importance d’une présence dans les grands hubs internationaux.

Qu’est-ce qui selon vous a le plus changé dans le rapport aux marques ces dernières années ? P-F.L.L. – Le mécanisme de découverte des marques par le grand public et les professionnels s’est trouvé considérablement transformé avec la popularisation des réseaux sociaux. Instagram et Pinterest sont devenus les premiers lieux d’exploration avant les salons pour les pro et les magasins pour le particulier. Cela a déstabilisé tout un éco-système qui a du mal à se régénérer.

Pourquoi les entreprises du secteur du luxe s’en sortent-elles mieux ? P-F.L.L. – L’univers du luxe forme un éco-système propice à l’innovation. Les marques se sont donné les moyens de répondre à une nouvelle génération de jeunes fortunés très connectés, en quête d’expériences inoubliables. Les maisons n’ont jamais autant investi pour leurs VIC – Very Important Clients – qui leur offrent en retour une grande fidélité et une énorme publicité !

Comment s’organisent les activités de l’agence ? P-F.L.L. – Le portefeuille de NellyRodi est historiquement constitué de marques ancrées dans les univers de la mode, de la décoration et de la beauté. Il s’est aujourd’hui enrichi d’entreprises appartenant aux secteurs du lifestyle et de l’hospitalité. Nous comptons aussi parmi nos clients de plus en plus d’acteurs de la food, qui sont très investis sur les tendances conso et esthétiques. Nous faisons ainsi le grand écart entre notre travail pour des maisons de mode et des applis de food qui ont comme point commun l’envie d’offrir à leurs clients une expérience hors du commun. La récente création d’un quatrième pôle « Lifestyle » à l’agence (qui vient compléter les pôles « Luxe », « Mode » et « Beauté », ndlr), nous a permis de recruter des talents au profil recherché qui possèdent une culture solide en la matière et sont force de propositions innovantes qui sont des clés de réussite.

Le tout est piloté par quatre directeurs, à l’expertise saluée au niveau international. Vincent Grégoire (directeur tendances et perspectives de consommation) est le chef d’orchestre de la curation et de la conception des tendances et des innovations, Marie Dupin (directrice business) passe ses insights au filtre des secteurs Beauté, Lifestyle, Luxe, Mode avec chaque responsable de marché puis Cécile Rosenstrauch (directrice de la création) imagine avec ses équipes les produits et services qu’elle présentera à nos clients. Ingénieur des Mines, Maxime Coupez (responsable de l’innovation et de la prospective) intervient lui, sur les dossiers de façon transversale.

Quels sont vos chantiers prioritaires à la direction générale de l’entreprise ? P-F.L.L. – Je suis très attaché à mon nouveau rôle de garant des engagements RSE de l’entreprise, qui oriente toutes mes décisions. L’agence est une très belle entreprise qui a su garder les fondamentaux construits par ma mère, Nelly Rodi, tout en osant s’ouvrir à d’autres métiers pour garantir sa pérennité. Fidèle à nos racines créatives, nous continuerons d’être cet éternel phoenix qui n’a jamais d’autre choix que celui de se réinventer en permanence et d’entraîner avec lui nos clients. C’est ce qui me conduit à poursuivre le développement à l’international, à faire évoluer l’offre, à développer de nouveaux outils et produits et à promouvoir nos études de marché qui sont devenues une référence en deux ans. Identifier des talents pour renforcer l’expertise de l’Agence fait également partie de mes prérogatives.

Source : Home Fashion News 54 – Septembre 2024

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